Lumière tamisée, chromes des guitares qui brillent, pédales d’effets au garde-à-vous et touches du synthé qui attendent qu’on les anime. Sur la table basse, ni canettes, ni verres de rouge, mais des manettes de Super Nintendo qui sommeillent.
Au fond du canapé, baskets bleues aux pieds et lunettes fumées, Yann semble absorbé par ses pensées. À son bureau, concentré et inspiré, le maître des lieux peaufine la bande originale qui accompagnera notre rencontre. Soudain, les hauts-parleurs s’animent, une mélodie sixties résonne et notre hôte se retourne.
Il s’appelle Pierre-Hadrien Trigano, tour à tour producteur, photographe, réalisateur et musicien. Ce jeune homme porte en lui les gènes de la créativité. Un passionné de musique qui en pince pour les noires et les blanches depuis l’âge de 12 ans. Époque à laquelle ses yeux se sont posés pour la première fois sur les courbes d’une guitare électrique et que son cœur s’est mis à vibrer. À cet instant il avait compris, il savait qu’elle était faite pour lui cette vie d’artiste, de créateur insatiable et curieux de tout. Car il est de cette trempe la PH Trigano, de ceux qui se nourrissent des autres, qui marchent à l’instinct et qui font confiance à la magie des rencontres.
C’est d’ailleurs grâce à une amie qu’il a pu approcher, Yann – Ichon – auteur du morceau ‘Si l’on ride‘, dont le clip l’avait hypnotisé et le son lui avait fait réaliser ‘qu’en France des gens étaient capables de faire du rap différemment.’ Après quelques verres et rendez-vous, ils ont commencé à travailler ensemble et ont composé plusieurs morceaux, dont deux ont déjà été révélés sur les ondes. ‘Retiens la nuit‘, hommage à l’idole des jeunes disparu en décembre 2017, en collaboration avec les Inrocks, et ‘2018 (Club des 27)‘.
Pour ‘2018′, Ichon avait lancé un appel à contribution pour la partie instrumentale car il avait envie de fraîcheur et de sonorités nouvelles. Rapidement submergé par les candidatures, il a confié la production de la première partie à Soxav et s’est tourné vers PH pour la seconde.
Si la production sonne très bangers trap ‘c’est parce qu’à l’époque j’avais envie de quelque chose qui tape’ me révèle PH avant qu’Ichon ne déclare, le sourire en coin, ‘la vérité c’est qu’il a toujours envie de faire de la trap !’ S’en suit alors un éclat de rire complice des deux artistes.
Au premier regard ces deux-là se comprennent et me révèlent que lorsqu’ils enclenchent le processus créatif tout va très vite. Tout va trop vite et s’enchaîne avec spontanéité et fulgurance, tout n’est qu’échange et inspiration. Un excès de vitesse permanent dans lequel PH compose les mélodies qui guident Ichon vers les mots justes. Dans ces moments de bouillonnement créatif, privés de réseau et enfermés dans le studio, ils passent les heures les plus rapides de leur existence. Dans cet entre-deux qui les séparent du reste du monde, seule la création a droit de cité.
J’imagine alors les mots d’Ichon se poser sur les mélodies de PH et se perdre dans les volutes de fumée. Une fumée dans laquelle se dessine l’ombre de Serge Gainsbourg, ‘l’ultime parolier, cet amoureux du mot’ sans qui PH n’aurait jamais écrit en français et où se dressent les silhouettes de François de Roubaix et de Sébastien Tellier. Paroliers à la verve et à la gouaille maîtrisés, compositeurs illuminés, dont PH aime à s’inspirer.
Mais en garçon de son époque, il se nourrit aussi des créations d’un Tyler, the Creator ou d’un Childish Gambino, de la fraîcheur d’une Kali Uchis et de l’originalité d’un JMSN. Tout en gardant un œil attentif sur la jeune création française. Des productions de ses amis du crew Bons Gamins, aux sonorités singulières d’un Jackson & his computer band, en passant par l’originalité d’un Lewis Offman, dont il trouve le clip ‘Flash’, réalisé par Alice Kong très réussi ainsi que le clip ‘La femme à la peau bleue’ qu’elle a réalisé pour Vendredi sur mer.
Tout semble l’intéresser et l’inspirer. Aucune frontière, aucune limite dans son univers. Et s’il me confie que la techno l’inspire un peu moins, il s’efforce tout de même d’éduquer son oreille à ce genre musical. Notamment au côté d’Émile, ami de 10 ans, ancien coloc’ et organisateur des soirées Fusions Mes Couilles. Ces soirées techno qui déchaînent les foules, affolent la planète fashion et qui comptent parmi les plus en vues de la capitale en ce moment. Véritables parenthèses dans lesquelles les gens se lâchent, les mannequins se montrent et où il s’amuse dans le dj booth en trinquant avec sa bande.
Une clique qui s’est formée il y a une dizaine d’années à Strasbourg Saint-Denis, lorsque le quartier n’avait pas encore l’aura qu’on lui connaît aujourd’hui et lorsque la hype n’usait pas encore ses sapes dans ses bars. Une époque à laquelle la seule raison de traîner là-bas était d’y habiter. Une époque à laquelle PH Trigano était l’un des membres du groupe Natas Loves You.
Lorsqu’il me parle de cette époque, ses yeux s’animent et il me déclare que les maîtres mots de cette aventure étaient Sex, drugs & rock’n’roll.
‘Clairement on était des malades, j’étais le plus calme, mais j’étais vraiment dingue quand même ! Dès qu’il y avait du vin, une chambre d’hôtel, un parking, une meuf à squatter on était là, on était des malades ! ‘ me dit -il en me regardant droit dans les yeux.
Une période d’excès où lui et son groupe buvait la moitié du temps. Une tournée européenne incandescente, dans laquelle il n’y avait aucun répit. Des concerts dans des MJC, dans des snacks miteux, devant 300 personnes en Allemagne, au Trianon, au festival Hello Birds, à Cabourg mon amour…
C’est d’ailleurs dans l’un de ces deux festivals que perchés sous acide, certains membres du groupe ont dévasté une chambre d’hôtel. L’esprit punk poussé à son paroxysme. S’en suit alors un coup de téléphone du maire de la ville à leur tourneur qui, désemparé, ne savait plus quoi faire de ces cinq garçons sauvages.
Excès sur excès, tensions sur tensions, la corde a fini par céder. No future. Lorsque le groupe s’est dissout, le stress et le doute se sont emparés de l’artiste. Absorbé par un trou noir vertigineux, il ne maîtrisait plus rien et savait qu’il allait droit dans le mur.
‘Je me suis pris le mur en pleine face, mais j’en suis ressorti grandi.’
Aujourd’hui c’est dans le travail qu’il semble avoir trouvé son salut. S’il y a bien un mot qui est revenu tout au long de notre échange, c’est le mot création. L’artiste protéiforme de 28 ans ne veut faire qu’une seule chose, créer. Qu’importe que ce soit pour lui ou pour les autres, qu’importe qu’il s’agisse d’images ou de sons.
Une seule chose compte, transformer ses inspirations et donner naissance à ses idées. Séparé depuis peu du label Profil de face, PH Trigano a préféré reprendre sa liberté. Un libre penseur qui, avec ou sans label, n’a qu’une seule idée en tête, dévoiler ses compositions. Il jouera prochainement en compagnie de Myth Syzer lors d’une tournée, une belle occasion pour présenter son single qui sort en septembre.
Crédits
Texte : Marc-Antoine Carpin
Photos : Quentin Simon
Artistes : Pierre-Hadrien Trigano & Ichon